L’association Ensemble avec Marie organise, le dimanche 6 février, une rencontre entre chrétiens et musulmans à l’église Saint-Sulpice à Paris. Entretien avec l’écrivaine Karima Berger, l’une des conférencières.
Lire l'article sur le magazine La Vie
30 associations, une dizaine de forums, une demi-douzaine de témoignages et d’interventions, le tout accompagné par un chœur interreligieux : voici le programme de la rencontre Ensemble avec Marie qui invite, dimanche 6 février après-midi, les chrétiens et musulmans à se retrouver à l’église Saint-Sulpice de Paris. Depuis la création d’Ensemble avec Marie il y a sept ans, plus de 150 événements fraternels ont été proposés dans toute la France. Cette année, parmi les intervenants, Henri de la Hougue, prêtre sulpicien et curé de la paroisse accueillant la rencontre, la directrice d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) Isabelle Saint-Martin ou encore le prêtre très engagé dans le dialogue interreligieux Christian Delorme. Mais aussi l’écrivaine Karima Berger. Auteure de plusieurs romans, nouvelles et essais, elle est vice-présidente de Écritures & Spiritualités. Celle qui sort en mars prochain son prochain ouvrage sur le féminin en islam, les Gardiennes du secret, chez Albin Michel, nous confie les raisons de sa présence à cette rencontre et l’importance de Marie à ses yeux.
Depuis quand connaissez-vous l’association Ensemble avec Marie ?
Je suis intervenue pour la première fois dans un événement qu’elle organisait il y a 2 ans, à l’Institut catholique de Paris. Devant plus de 250 personnes, sous l’égide de l’Institut de sciences et de théologie des religions (ISTR) de Paris, nous avons échangé autour de Marie dans la Bible et dans le Coran avec le souci de faire le lien entre le christianisme et l’islam à travers ce personnage extraordinaire. *
Comment se fait-il que Marie rassemble les croyants chrétiens et musulmans ? Qu’a-t-elle, justement, d’extraordinaire ?
Par sa vie, son destin, sa postérité mais aussi sa beauté et sa générosité, elle est à part. Elle fait le lien d’abord parce qu’elle est présente dans les deux traditions. Dans la Bible, elle est la mère de Jésus… Mais aussi dans le Coran. Citée à 34 reprises, elle est la femme la plus honorée de la Création : c’est la seule femme appelée par son nom dans le Coran et elle a une sourate entière pour elle. Les musulmans reconnaissent aussi la naissance miraculeuse de Jésus.
Pourtant même entre chrétiens, l’histoire de Marie, son statut ne font pas l’unanimité…
C’est pour cela que je la qualifie de généreuse : elle est vaste, Marie ! Personne ne peut la saisir d’un seul aspect. Qui peut dire qu’il détient la vérité unique sur Marie ? Des quatre Évangiles au Coran en passant par les mystiques et écrits spirituels, nous avons beaucoup de mots sur Marie. Bien sûr, il y a les éléments de dogme autour d’elle mais Marie inspire au-delà, car elle est un souffle vivant. Moi, elle m’inspire beaucoup ! Elle a cette force de pouvoir vivre à travers de multiples facettes – nos regards divers et variés – au-delà de ce que la science religieuse peut en dire. Marie appartient à tout le monde et « parle » à tout le monde. Elle se dévoile dans ce que nous tous, chrétiens et musulmans, pouvons dire d’elle quand on accepte de se rencontrer autour d’elle.
Ce dialogue entre chrétiens et musulmans est-il plus difficile à vivre aujourd’hui ?
Je ne me retrouve pas dans cette expression « dialogue chrétiens musulmans ». Au niveau des institutions, ce « dialogue » est toujours marqué par la volonté d’imposer un pouvoir de l’une ou de l’autre, une vision ou une communauté à défendre. Je comprends la démarche mais je veux me situer ailleurs : le dialogue selon moi doit être vivant, à hauteur d’hommes et de femmes comme celles et ceux qui viendront à la rencontre dimanche, entre personnes. Le dialogue n’est pas « pour » quelque chose : il n’a pas d’objectif, il est gratuit. À la limite, il existe « pour » la joie d’échanger ! Ensuite, une fois l’acte passé, on peut comprendre que grâce à ce dialogue, on a été enrichi, éveillé à une autre réalité.
Justement, les rencontres interpersonnelles ces dernières années – que ce soit à cause de la crise sanitaire ou de la montée des tensions dans la société – se font de plus en plus rares.
Oui il faut s’accrocher pour vouloir rencontrer l’autre, différent. Et cette difficulté est présente dans tous les milieux, pas plus ni moins chez les chrétiens que chez les musulmans. Mais la crainte d’être bousculée dans ses certitudes est présente depuis bien longtemps. Lors d’une conférence passée, une personne est venue me voir à la fin et m’a dit, un peu dépitée : « Je n’ai pas reconnu “ma” Marie. » Moi j’étais ravie : on ne va pas écouter une personne éloignée de soi pour entendre ce que l’on connaît déjà. Dimanche, lors de mon intervention, j’aurai à cœur de demander aux chrétiens d’accepter de se « décaler » de leur savoir, de leur connaissance de Marie pour découvrir une autre voix, et peut-être une autre voie vers elle.